En quête d’une identité métropolitaine.
Pour quoi ? Pour qui ?

En quête d’une identité métropolitaine. <br>Pour quoi ? Pour qui ?

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Robert MARCONIS,
Professeur émérite, membre du LISST – CIEU Université Toulouse II – Jean Jaurès

En France, les métropoles de province 1 se sont progressivement imposées entre 1960 et 1975 dans l’armature urbaine d’un pays fortement centralisé. Déjà capitales de leur région administrative huit grandes agglomérations françaises ont été également promues métropoles d’équilibre par la DATAR en 1964, afin d’organiser le redéploiement territorial de l’appareil productif national autour de « pôles de croissance ».

Des identités face au défi de la modernité

Cette injonction métropolitaine y entraîna une forte croissance économique et démographique, qui a dépassé largement les communes centres, leur imposant une réflexion nouvelle sur leur mode de gouvernance et leur configuration territoriale future. Dans la plupart d’entre elles, l’État a imposé en 1966-1968 une organisation intercommunale de type « communauté urbaine », tandis que se mettaient en œuvre les procédures devant conduire à l’élaboration de schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), prescrits par la loi d’orientation foncière de 1967. Ces nouveaux défis furent à l’origine de la création de plusieurs agences d’urbanisme 2.

Pendant qu’émergeaient et s’organisaient ces métropoles, la question de leur identité ne se posait guère. Curieusement c’est même d’en haut, et souvent sans concertation, que l’État leur attribua des « vocations », vecteurs d’identités futures : fonction européenne à Strasbourg, « capitale de l’aéronautique et de l’espace » pour Toulouse, Europort du Sud à Marseille autour du complexe industrialo-portuaire de Fossur — Mer… La priorité pour toutes ces agglomérations était d’entrer dans la modernité et d’effacer souvent toute trace d’un passé « provincial » révolu, afin de « jouer dans la cour des grandes ». Ce fut l’heure des grands travaux d’urbanisme empruntant à des modèles mis en œuvre dans la capitale, dont l’État dirigeait dans le même temps un ambitieux programme de modernisation et de restructuration (villes nouvelles, RER, équipements à vocation internationale…) pour en faire une grande métropole mondiale. Rénovation ou dédoublement des centres anciens (La Part-Dieu, Meriadeck…), « villes nouvelles » en périphérie (Villeneuve d’Ascq, Rives de l’Étang de Berre, L’Isle d’Abeau… et le Mirail à Toulouse…). Cette fièvre modernisatrice se fit souvent aux dépens du patrimoine bâti, qui fondait l’identité de bien des villes, et cela malgré quelques tentatives de sauvegarde et de mise en valeur, que permettait par exemple la loi Malraux de 1962 sur les secteurs sauvegardés.

Progressivement les métropoles de province ne se différenciaient plus entre elles, confrontées aux mêmes problèmes de croissance dans le domaine de la circulation et des transports en particulier. Même les grandes villes qui n’avaient pas été « élues » métropoles d’équilibre, s’engageaient dans des logiques semblables (Le Polygone à Montpellier, La Villeneuve à Grenoble…).

Encart de promotion de Toulouse et de l’Aérospatiale, 1991

Des identités au service du marketing territorial

Un tournant s’esquisse au milieu des années 1970. Plusieurs facteurs se conjuguent alors. Tandis que les classes moyennes s’installent en périphérie pour accéder à la propriété d’une maison individuelle, la croissance des grandes métropoles organisées par et pour l’automobile suscite des revendications de plus en plus vives face à l’engorgement de la voirie, malgré de lourds investissements routiers. S’impose alors l’idée qu’il convient d’y relancer les transports collectifs et de repenser pour cela l’espace public dans les zones les plus denses. Question complexe dans les métropoles dont la taille ne justifiait pas le choix d’un métro comme à Marseille, Lyon ou Lille, et qui se virent proposer des solutions de type tramway au sol, adoptées. Si Nantes et Grenoble s’engagent dans de tels projets, d’autres hésitent entre VAL et tramway. Toulouse opte alors pour un « métro léger » souterrain de type VAL, symbole d’un développement urbain fondé sur des technologies nouvelles… et qui n’impose pas de limiter la place de l’automobile dans son centre. Ces choix ne sont pas sans conséquence sur l’identité de ces métropoles ; imprimant durablement leur marque à la configuration de leurs territoires. Ils incombaient désormais aux élus locaux, qui n’ignoraient pas leurs implications financières et les conséquences politiques d’une limitation de l’usage de l’automobile. Ils témoignaient aussi d’un processus de transfert des compétences entre l’État et les collectivités territoriales qu’ont accéléré les lois de décentralisation de 1982.

 

Dans le même temps, sous la pression de l’opinion, les élus se voyaient reprocher des choix urbanistiques (« métro-boulot-dodo »), qui avaient trop souvent sacrifié le patrimoine à la modernité, et privé bien des villes des éléments d’une identité culturelle, dont on s’aperçut qu’elle était revendiquée non seulement par les habitants nés dans ces lieux, ou qui s’y étaient installés depuis longtemps, mais aussi par les nouveaux venus, souvent ceux que l’on nommait les « décentralisés ».

Affiche du Forum des Arts de l’Université Scientifique et Technique, 1986

En quête d’aménités spécifiques, ils renâclaient à retrouver dans les métropoles un cadre et un mode de vie qui leur rappelaient trop ceux qu’ils avaient connus dans la capitale ou sa banlieue.

Enfin, le désengagement de l’État dans le domaine économique et la montée du chômage, incitaient les acteurs locaux à prendre un rôle de plus en plus important pour attirer de nouveaux investisseurs dans des secteurs qu’on imaginait porteurs d’avenir, et qui profitaient souvent du potentiel accumulé dans ces métropoles au cours des deux décennies précédentes. Beaucoup choisirent de repenser le développement autour d’entreprises innovantes, valorisant les gisements de matière grise, constitués par les universités et les laboratoires de recherche. Les métropoles se pensèrent alors comme des « technopoles », s’engageant dans une compétition qui prit une dimension internationale.

Pour développer leur attractivité, pour séduire de nouveaux investisseurs, de nouveaux habitants, de nouveaux contingents d’ingénieurs, de techniciens et de cadres, elles s’efforcèrent alors de mettre l’accent sur leurs atouts, en soulignant leurs différences. Ce « marketing territorial » 3 suscita des réflexions nouvelles sur leur « identité ». Dans un monde qui fonctionnait de plus en plus sur la base de réseaux », chacune se voulait « carrefour », si possible « européen » (« Lille, la Métropole position ») et, quand la géographie se prêtait mal à la démonstration, d’autres, comme Brest, préféraient se dire, carte à l’appui, « à la pointe de l’Europe ». Potentiel scientifique, industriel ou culturel, grands événements, qualité de la vie… ont été habilement mobilisés : « Montpellier la surdouée, berceau du futur », « Toulouse devrait s’écrire avec deux ailes  », « Nantes, l’effet côte Ouest »… Cette quête d’identité mobilisa les acteurs locaux ; elle fut portée parfois par un grand élu médiatique, ou s’est appuyée sur un « projet urbain » que symbolisait une opération d’urbanisme ou un geste architectural emblématique (Tour « Crayon » de la Part-Dieu, Antigone à Montpellier, Euralille).

Projet de Ville pour Toulouse, 1993

Identités et projets métropolitains

Ces identités construites pour s’imposer dans une compétition avec d’autres métropoles, eurent aussi pour effet de faire redécouvrir un patrimoine historique ou naturel que l’on avait souvent ignoré dans les décennies précédentes quand on n’y avait pas porté gravement atteinte au nom d’un urbanisme trop exclusivement fonctionnaliste. Valoriser ces héritages, fûtil un « patrimoine réinventé » 4, tout en affichant une ambition d’innovation et de modernisme, telle apparaît alors la stratégie des métropoles pour imposer, vis-à-vis de l’extérieur une « identité » qui permettait de faire entendre ou voir leurs différences et leurs atouts. Recherche d’une reconnaissance patrimoniale par l’inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco (Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Le Havre), valorisation d’un environnement de qualité souvent par la protection et la mise en valeur des « fronts d’eau » avec la reconquête des rives de grands fleuves ou de façades portuaires… Fondateur des nouvelles identités métropolitaines au début du XXIe siècle, cet équilibre, Toulouse l’avait souhaité, dès 1993, en présentant son « Projet de Ville » : « L’ambition d’une ville forte, L’équilibre d’une ville douce ».

L’habitant de ces grandes métropoles en expansion adhère-t-il à ces images et à ces références identitaires construites d’abord pour promouvoir leur ville à l’extérieur en utilisant des supports médiatiques de plus en plus variés. Et qu’en est-il quand elles sont reprises par des agences de communication qui n’hésitent pas à utiliser des références à la langue anglaise, parfois avec humour (OnlyLyon), parfois de façon plus surprenante, comme avec So*Toulouse, « marque de rayonnement qui a pour objectif de faire connaître la destination Toulouse et donner envie d’y venir », alors que dans le métro, symbole de modernité, les annonces sont faites seulement en français et… en occitan, laissant perplexes les usagers étrangers vivant la mondialisation au quotidien… et en anglais ?

Affiche de promotion de Montpellier

La quête d’une identité métropolitaine ne saurait oublier en effet la diversité des populations de ces vastes aires urbaines qui se sont profondément renouvelées au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, 33,6 % seulement des habitants de la commune de Toulouse sont nés dans l’aire urbaine (31,2 % à Toulouse même), et 15,5 % dans le reste de la nouvelle région Occitanie. Plus de la moitié sont natifs d’une autre région métropolitaine (30,5 %) — dont 8,3 % pour l’Ile de France —, des DOM (1,9 %) ou de pays étrangers (18,5 %). Cet apport « extérieur » est moins important dans l’ensemble des communes de l’aire urbaine hors Toulouse : les habitants nés hors de l’Occitanie n’étant plus que 39,3 %. Comment « faire métropole », avec des populations d’origines si diverses, qui se renouvellent fortement et se redistribuent au sein de l’aire urbaine ? En 2013, 10 % des 458 000 habitants de la seule commune de Toulouse n’y résidaient pas l’année précédente et 10 % y occupaient un logement différent.

À Toulouse, comme ailleurs, à la diversité des origines s’ajoutent bien sûr de fortes disparités de revenus, d’activités et de modes vie qui induisent des rapports très variés avec les territoires métropolitains et la façon dont il sont « vécus » et perçus 5. Comment en seraitil autrement sur des territoires de plus en plus vastes et de plus en plus peuplés (453 communes et 1,3 million d’habitants pour l’aire urbaine de Toulouse) ? Chacun vit le fait métropolitain 6 à différentes échelles qui nourrissent des « identités multiples », parfois antagonistes. On peut penser qu’elles mettront sans doute de longues années pour converger et se reconnaître éventuellement dans UNE identité métropolitaine, qui reste à construire dans une métropole sans doute mieux identifiée de l’extérieur, que par ceux qui tentent, au quotidien, d’y « vivre ensemble ».

Lieux de naissance des habitants de la commune de Toulouse (2013) Source : Insee, recensement

 

Acronymes :

  • DATAR : Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale
  • SDAU : Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme
  • VAL : Véhicule Automatique Léger

 

1. MARCONIS R., Urbanisation et urbanisme en France, Les métropoles de province, La Documentation française, 2002. MARCONIS R., France, recompositions territoriales, La Documentation française, 2006.
2. L’agglomération de Toulouse n’a pas eu de statut de communauté urbaine à cette époque. Elle deviendra communauté d’agglomération en 2001 seulement et communauté urbaine en 2009. L’agence d’urbanisme de Toulouse a été créée en 1972.
3. Rosemberg M., Le marketing urbain en question, Anthropos, 2000.
4. Bourdin A., Le patrimoine réinventé, PUF, 1984.
5. BOURDIN A. (sous la dir. de), La métropole fragile, Éditions du Moniteur, 2015.
6. « Fait urbain, Fait métropolitain », BelvedeЯ n° 0, décembre 2016.

photos © Ville de Toulouse, © Ville de Montpellier

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